L'existence a-t-elle un sens ? Peut-elle se justifier ?
Introduction
Dans un univers désenchanté, désacralisé, notre existence
n'a plus rien de nécessaire. Elle est contingente.
Il s'en est fallu de peu que nous ne venions pas au monde.
En outre, notre existence est fragile, elle peut s'arrêter à tout instant. La
plupart du temps, nous n'y pensons pas. Le monde est un décor familier qui nous
rassure. Les objets sont des ustensiles complices. Tout semble solide comme un
roc. En de rares occasions, le fait brut de l'existence nous rattrape, nous
prenons conscience que tout peut vaciller : le monde nous apparaît dans son
étrangeté
Albert Camus, Le Mythe
de Sisyphe
Il arrive que les décors s’écroulent. Lever,
tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de
travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le
même rythme , cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour
seulement, le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude
teintée d’étonnement. [...] De même et pour tous les jours d’une vie sans
éclat, le temps nous porte.
Mais un moment vient toujours où il faut le porter.
Nous vivons sur l’avenir : « demain », « plus tard », « quand tu auras une
situation », « avec l’âge tu comprendras ». Ces inconséquences sont admirables,
car enfin il s’agit de mourir. Un jour
vient pourtant et l’homme constate ou dit qu’il a trente ans.
Il affirme ainsi sa jeunesse. Mais du même coup, il
se situe par rapport au temps. Il y prend sa place. Il reconnaît qu’il est à un
certain moment d’une courbe qu’il confesse devoir parcourir. Il appartient au
temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi.
Demain, il souhaitait demain, quand tout lui-même aurait dû s’y refuser. Cette
révolte de la chair, c’est l’absurde.
Un degré plus bas et voici l’étrangeté :
s’apercevoir que le monde est « épais », entrevoir à quel point une pierre est
étrangère, nous est irréductible, avec quelle intensité la nature, un paysage
peut nous nier. Au fond de toute beauté
gît quelque chose d’inhumain et ces collines, la douceur du ciel, ces dessins
d’arbres, voici qu’à la minute même, ils perdent le sens illusoire dont nous
les revêtions, désormais plus lointains qu’un paradis perdu. L’hostilité
primitive du monde, à travers les millénaires, remonte vers nous. Pour une
seconde, nous ne le comprenons plus puisque pendant des siècles nous n’avons compris en lui que
les figures et les dessins que préalablement nous y mettions, puisque désormais
les forces nous manquent pour user de cet artifice. Le monde nous échappe
puisqu’il redevient lui- même. Ces décors masqués par l’habitude redeviennent
ce qu’ils sont. Ils s’éloignent de nous. De même qu’il est des jours où, sous
le visage familier d’une femme, on
retrouve comme une étrangère celle qu’on avait aimée il y a des mois ou des
années, peut-être allons-nous désirer même ce qui nous rend soudain si seuls.
Mais le temps n’est pas encore venu. Une seule chose : cette épaisseur et cette
étrangeté du monde, c’est l’absurde.
Albert Camus, Le Mythe de
Sisyphe, , « Idées », 1973, p. 27-29.
Mots clefs
L’EXISTENCE
Du latin exsistere, « se tenir hors de, sortir
de ». Au sens strict, celui qui est utilisé par les phénoménologues, seul
l’homme existe, dans la mesure où seul il est capable de se jeter hors de
lui-même pour se rapporter à soi et au monde. Exister, c’est donc être hors de
soi, être en extase permanente. Enfin, exister, en tant qu’un acte
ontologique (qui concerne notre être) s’oppose à vivre, en tant qu’acte
biologique (qui concerne notre corps vivant)
L’absurde
ce mot désigne ce qui n’a pas de sens , c'est le sens qui se
dérobe ou qui s'absente. Si l'existence n'a pas de sens par elle-même, elle a
celui que nous lui donnons par nos actes, nos choix, nos fidélités ou nos
renoncements
le monde n'est pas absurde
mais la recension de son caractère irrationnel et de ce désir
éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. l'absurde dans ce
cas n'est ni dans l'homme ni dans le
monde, mais dans leur présence commune. Il naît de leur contradiction.
« Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle l'un à l'autre comme
la haine seule peut river les êtres.
Questions
1
Pourquoi la routine peut-elle se briser et donner lieu à une «
lassitude teintée d'étonnement »
Et De quel étonnement
s'agit-il ?
2
Quelle définition du mot absurde pouvez-vous proposer à la lecture
de ce texte ?
Explication du texte
Selon Camus La routine quotidienne dévore l’être
humain et le place dans un cercle vicieux, mais soudain surgit la question sur
l’existence et le fait brut de la vie nous rattrape et on reconnait le pire
ennemi. Demain
C’est vrai que notre existence est fragile, et elle peut s'arrêter à tout instant. La plupart
du temps, nous n'y pensons pas. Le monde est un décor familier qui nous
rassure. Les objets sont des ustensiles complices. Tout semble solide comme un
roc. En de rares occasions, le fait brut de l'existence nous rattrape, nous
prenons conscience que tout peut vaciller : le monde nous apparaît dans son
étrangeté.
5. Kierkegaard, L'Alternative
Avoir connu l’amour donne à la nature humaine une
harmonie qui ne s’efface jamais complètement ; je dirai maintenant que l’acte
de choisir confère une solennité, une calme dignité qui ne se perd jamais tout
à fait.
Bien des gens attachent un prix extraordinaire à la
faveur d’avoir vu face à face tel ou tel remarquable personnage historique. Ils
n’oublient jamais cette impression ; elle donne à leur âme une image idéale qui
ennoblit leur caractère ; pourtant, cet instant, si important soit-il, n’est
rien comparé à l’instant du choix. Quand donc le calme s’est répandu sur toutes
les choses à l’entour, solennel comme la nuit étoilée, quand l’âme devient
seule dans tout l’univers, elle voit
apparaître devant elle, non pas un grand homme, mais la puissance éternelle
elle-même ; alors le ciel semble s’ouvrir, et le moi se choisit ou plutôt se
reçoit. Alors l’âme a vu le bien suprême que ne saurait contempler le regard
d’aucun mortel et qu’elle ne peut jamais oublier ; alors la personnalité reçoit
l’accolade qui la sacre chevalier de l’éternité. L’homme ne devient pas autre
qu’il n’était auparavant, il devient lui-même ; sa conscience se rassemble, et
il est lui-même. Un héritier, même des trésors de l’univers, ne les possède pas
avant sa majorité ; pareillement, la personnalité même la plus riche n’est
rien avant de s’être choisie, tandis que celle que l’on pourrait dire la plus
pauvre est tout quand elle s’est choisie ; car la grandeur humaine ne consiste pas à être
ceci ou cela, mais soi-même : et tout homme le peut quand il le veut.
Soren Kierkegaard, L’Alternative,
in L’Existence, , p. 136.
explication du texte
pour Kierkegaard La vrai existence de l’homme c’est
le moment ou il ne devient pas autre
qu’il n’était auparavant, et il devient lui-même
Même la personnalité la plus riche n’est rien
avant de s’être choisie, Ainsi la grandeur humaine ne consiste pas à être ceci
ou cela, mais soi-même
Kierkegaard plaide pour une approche plus
subjective. Il veut examiner ce que cela signifie d'être un être humain en tant
qu'individu autodéterminé.
Il croit
que nos vies sont déterminées par nos actions, qui sont elles-mêmes déterminées
par nos choix, alors comment nous faisons
Et si l’on en croit Kierkegaard, le philosophe
n’avait oublié en chemin qu’une toute petite chose : lui-même.
C’est-à-dire lui-même comme individu existant, passionnément intéressé à son
existence, dont la singularité concrète est irréductible à toute idée ou
essence abstraite et qui ne se confond pas avec le sujet de la connaissance
L’existence et le temps Cours de philosophie
Reviewed by rachman
on
janvier 05, 2020
Rating:
Aucun commentaire: