Qu’est-ce que le désir amoureux ?




1. Texte de Arthur Schopenhauer



L’instinct sexuel en général, tel qu’il se présente dans la conscience de chacun, sans se porter sur un individu déterminé de l’autre sexe, n’est, en soi et en dehors de toute manifestation extérieure, que la volonté de vivre. Mais quand il apparaît à la conscience avec un individu déterminé pour objet, cet instinct sexuel est en soi la volonté de vivre en tant qu’individu nettement déterminé. En ce cas l’instinct sexuel, bien qu’au fond pur besoin subjectif, sait très habilement prendre le masque d’une admiration objective et donner ainsi le change à la conscience ; car la nature a besoin de ce stratagème pour arriver à ses fins. Mais si objective et si bien revêtue de sublimes couleurs que  cette admiration puisse nous paraître, cependant cette passion amoureuse n’a en vue que la procréation d’un individu de nature déterminée ; et ce qui le prouve avant tout, c’est que l’essentiel n’est pas la réciprocité de l’amour, mais bien la possession, c’est-à-dire la jouissance physique. [...] Cependant cette recherche si ardente des avantages physiques et le choix si attentif  qu’elle détermine ne dépendent évidemment pas de l’individu même qui choisit, comme celui-ci le croit, mais bien de la fin véritable, de l’enfant à procréer qui doit reproduire le type de l’espèce aussi pur et aussi exact que possible. [...] Ainsi chaque être arrête d’abord son choix sur les individus les plus beaux, c’est-à-dire en qui le caractère de l’espèce est empreint avec le  plus de pureté, et les désire ardemment ; ensuite il recherchera surtout dans un autre individu les perfections dont il est lui-même privé ; il ira jusqu’à trouver de la beauté dans les imperfections qui sont tout le contraire des siennes : les hommes, de petite taille, par exemple, recherchent les femmes grandes, les blonds aiment les brunes, etc.
Arthur Schopenhauer, La Métaphysique de l’amour, in Le Monde comme volonté et comme représentation, , p. 1289-1290.

questions
1. En quoi le désir amoureux est-il trompeur ?
2. Quel est l'objet véritable de l'amour ?
3. En quoi la conception de l'amour proposée par Schopenhauer peut-elle être considérée comme « pessimiste » ?

Explication du texte
L’instinct sexuel manifeste la volonté de vivre et  L’amour n’a pour objectif que la procréation. Schopenhauer voit tout d’abord la reproduction comme le seul but véritable de toute passion amoureuse
Selon Schopenhauer, l’homme choisit en priorité l’âge, la santé, l’ossature, la plénitude de la chair, et enfin la beauté du visage, tandis que la femme regarde en priorité  l’âge, la force, et le courage.
En habitude, l’individu est susceptible de tomber amoureux d’une personne pourvue des avantages physiques que lui ne possède pas : « les hommes, de petite taille, par exemple, recherchent les femmes grandes, les blonds aiment les brunes»
Ce sont donc ces critères relatifs qui, comme le montre la métaphore chimique, permettent à l’espèce de conspirer pour se rapprocher de l’excellence. Ils expliquent que les histoires d’amour semblent toutes distincts les unes des autres et qu’elles soient également d’intensités différentes. C’est ainsi l’effet de compensation, en réalité, qui détermine l’intensité de la passion amoureuse : plus il est important, plus elle est forte. En parallèle, les critères absolus ne donnent naissance qu’à des amourettes parce qu’ils ne servent pas le projet de l’espèce.
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2.                   Texte de Platon

Au temps jadis, notre nature n’était pas la même qu'aujourd’hui, mais elle était d’un genre différent. Oui, et premièrement, il y avait trois catégories d’êtres humains et non pas deux comme maintenant, à savoir le mâle et la femelle. Mais il en existait encore une troisième qui participait des deux autres, dont le nom subsiste aujourd’hui, mais qui, elle, a disparu. En ce temps-là en effet il y avait l’androgyne1 , un genre distinct qui, pour le nom comme pour la forme, faisait la synthèse des deux autres, le mâle et la femelle. [...] Deuxièmement, la forme de chaque être humain était celle d’une boule, avec un dos et des flancs arrondis. Chacun avait quatre mains, un nombre de jambes égal à celui des mains, deux visages sur un coup rond avec, au-dessus de ces deux visages en tout point pareils situés à l’opposé l’un de l’autre, une tête unique pourvue de quatre oreilles. En outre, chacun avait deux sexes et tout le reste à l’avenant, comme on peut se le représenter à partir de ce qui vient d’être dit. Ils se déplaçaient, en adoptant une station  droite comme maintenant, dans la direction qu’ils désiraient ; et, quand ils se mettaient à courir vite, ils faisaient comme les acrobates qui font la culbute en soulevant leurs jambes du sol pour opérer une révolution avant de les ramener à la verticale ; comme à ce moment-là ils prenaient appui sur huit membres, ils avançaient vite en faisant la roue. [...] Cela dit, leur  vigueur et leur force étaient redoutables, et leur orgueil était immense. Ils s’en prirent aux Dieux [...] à savoir qu’ils entreprirent l’escalade du ciel dans l’intention de s’en prendre aux dieux. - C’est alors que Zeus et les autres divinités délibérèrent pour savoir ce qu’il fallait en faire ; et ils étaient très embarrassés. Ils ne pouvaient en effet ni les faire périr ni détruire leur race  comme ils l’avaient fait pour les Géants en les foudroyant, car c’eût été la disparition des honneurs et des offrandes qui leur venaient des hommes, ni supporter plus longtemps leur imprudence. Après s’être fatigué à réflé­chir, Zeus déclara : « Il me semble, dit-il, que je tiens un moyen pour que, tout à la fois, les êtres humains continuent d’exister et que, devenus plus  faibles, ils mettent un terme à leur conduite déplorable. En effet, dit-il, je vais sur-le-champ les couper chacun en deux ; en même temps qu’ils seront plus faibles, ils nous rapporteront davantage, puisque leur nombre sera plus grand. Et ils marcheront en position verticale sur deux jambes. » [...] Cela dit, il coupa les hommes en deux, ou comme on coupe les œufs avec un crin. [...] Quand donc l’être humain primitif eut été dédoublé par cette coupure, chaque morceau, regrettant sa moitié, tentait de s’unir de nouveau à elle.
Et, passant leurs bras autour l’un de l’autre, ils s’enlaçaient mutuellement parce qu’ils désiraient se confondre en un même être, et ils finissaient par mourir de faim et de l’inaction causée par leur refus de rien faire l’un sans  l’autre [...]. Ainsi l’espèce s’éteignait. Mais, pris de pitié, Zeus s’avise d’un autre expédient : il transporte les organes sexuels sur le devant du corps de ces êtres humains. Jusqu’alors en effet, ils avaient ces organes eux aussi sur la face extérieure de leur corps [...] et ce faisant il rendit possible un engendrement mutuel, l’organe mâle pouvant pénétrer dans l’organe femelle [...] C’est donc d’une époque aussi lointaine que date l’implantation dans les êtres humains de cet amour, celui qui rassemble les parties de notre  antique nature, celui qui de deux êtres tente de n’en faire qu’un seul pour ainsi guérir la nature humaine.
Platon, Le Banquet p. 114 -117

Explication du texte
Platon montre que  l’amour a une origine mythique, son point de départ est le célèbre mythe de l’androgyne sur lequel s’appuie la théorie d’Aristophane. Selon    celui-ci, le sentiment amoureux se manifesterait quand sont réunies deux personnes qui constituaient jadis un seul
Il présente  ainsi trois conceptions qui sont autant d’étapes au sein même de la relation amoureuse : il évoque premièrement : l’amour comme relation asymétrique, et la relation amoureuse peut également être symétrique, dans le sens où, issue d’un manque fondamental (cf. le mythe de l’androgyne) et d’une recherche de soi, elle est faite d’égalité et de réciprocité ; en synthèse des deux conceptions précédentes, enfin, le véritable épanouissement amoureux naîtrait de la transformation d’une relation asymétrique en relation symétrique, en établissant une relation  entre l’amour et l’amour du savoir :la philosophie  . À ces conceptions se rapportent les étapes du sentiment amoureux. Initié à l’amour par la prêtresse Diotime, Socrate déclare, pragmatique, qu’on aime  d’abord le corps ; puis la beauté de l’âme ; avant d’en arriver à la contemplation de l’être aimé
Questions
1. Combien de catégories d'être humains existait-il originairement pour Platon ?
2. Pourquoi la première description du désir est-elle placée sous le signe de l'échec ? Quel expédient Zeus trouve-t-il pour y remédier ? De quoi le désir sexuel se trouve-t-il alors investi ?
3. En cherchant à tirer la leçon du mythe, caractérisez le manque dont procède le désir amoureux selon Platon : que vise-t-il ? Peut-on le combler ?
Qu’est-ce que le désir amoureux ? Qu’est-ce que le désir amoureux ? Reviewed by rachman on décembre 29, 2019 Rating: 5

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