la parole est un combat à gagner : Arthur Schopenhauer -2



STRATÉGIE 21
Un argument adverse dont nous aurions perçu le caractère spécieux ou sophistique pourra être démonté en confrontant l’adversaire à son artifice ; mais il sera encore mieux de lui opposer un contre-argument tout aussi spécieux et sophistique, et d’en disposer ainsi.
STRATÉGIE 22
Si l’adversaire exige qu’on admette quelque chose dont la suite logique concernerait directement le point de discorde, on refusera en arguant qu’il s’agit d’une forme de petitio principii  (Une pétition de principe (en latin scolastique petitio principii) : est, en logique, un raisonnement fallacieux dans lequel on suppose dans les prémisses de la proposition ce qu'on doit prouver). Ainsi, lui-même et l’auditoire assimileront au point de discorde toute proposition qui s’en rapprocherait : on le prive ainsi de son meilleur argument.
STRATÉGIE 23 : pousser l’adversaire amplifier ses arguments


La contradiction et la polémique incitent à l’exagération de la thèse. On pourra donc pousser l’adversaire à amplifier la sienne, pourtant parfaitement recevable dans sa configuration initiale, de manière qu’elle excède les limites de l’acceptable. Et une fois qu’on aura réfuté ce qui dépasse, tout se passera comme si l’on avait également réfuté sa proposition initiale. À l’inverse, on prendra garde à ne pas se laisser amener à exagérer ou étendre la nôtre.
STRATÉGIE 24 : soutirer de la proposition adverse des conclusions qui lui sont étrangères
Il consiste, par des déductions spécieuses et une interprétation abusive, à soutirer de la proposition adverse des conclusions qui lui sont étrangères et que l’adversaire n’avait absolument pas en tête
STRATÉGIE 25 : être vigilant sur les arguments de l’adversaire
les apparences sont parfois trompeuses
lorsque l’adversaire nous oppose une instance, on sera particulièrement vigilant sur les points suivants :
1. Est-ce que l’exemple est bien vrai ? Il y a des problèmes dont la seule solution est la remise en cause du cas particulier, par exemple les miracles ou les histoires de spiritisme.
2. Est-ce que l’exemple est bien inclus dans la vérité énoncée ? Il arrive souvent que le rapport d’inclusion ne soit qu’apparent, et on lèvera l’illusion en marquant bien la différence entre les deux.
3. Est-ce que l’exemple entre bien en contradiction avec la vérité énoncée ?
STRATÉGIE 26 : retourner l’argument de l’adversaire contre lui
L’ exemple qui donne Schopenhauer  , s’il dit : « Ce n’est qu’un enfant, un peu d’indulgence », on lui répondra : « C’est justement parce que c’est un enfant qu’il faut le battre pour éviter qu’il ne garde à vie ses mauvaises habitudes. »
STRATÉGIE 27 : faire perdre son sang-froid à l'adversaire

Si l’adversaire réagit à un de nos arguments par une agressivité subite, on ne se privera pas d’insister lourdement dessus. Non seulement il est bon de lui faire perdre son sang-froid, mais surtout, il y a fort à parier qu’on a mis le doigt sur le point faible de son raisonnement, et que l’argument nous fasse gagner plus de points que prévu
STRATÉGIE 28 : prendre à partie le public

Ce stratégie s’applique essentiellement à un débat érudit mené devant un parterre non-initié. En l’absence d’argument ad rem ou ad hominem, on prendra à partie le public par un argument ad auditores, c’est-à-dire une objection irrecevable, mais que seul un esprit averti percevra comme telle . . . . . Les gens aiment rire, et les rieurs seront acquis à notre cause. S’il veut invalider notre objection, l’adversaire devra se lancer dans une longue dissertation technique : il aura du mal à regagner son auditoire.
Exemple
L’adversaire explique qu’avant l’émergence des continents, sous l’effet de la chaleur, la masse destinée à en former le socle granitique était en fusion, et donc à l’état liquide. La température devait s’élever à 250°C. La masse a cristallisé sous la surface de l’océan qui la recouvrait. Nous prenons alors à partie l’auditoire et déclarons qu’à cette température, et même d’ailleurs dès 100 °C, il y a longtemps que l’océan serait parti en fumée. Rires de l’auditoire.
STRATÉGIE 29 : parler de tout autre chose pour défaire la force de l’adversaire
Si on constate que notre défaite est proche, on pourra procéder à une diversion. Autrement dit, on se met à parler de tout autre chose, en faisant comme si c’était relié à la question et qu’il s’agissait d’un contre argument. Une diversion discrète aura encore un lien avec la question débattue ; une diversion osée n’aura plus rien à voir, sinon que l’interlocuteur est le même.
Ce stratégie est très instinctive, et les querelles du quotidien en sont la parfaite illustration. Si l’un reproche quelque chose à l’autre, l’autre ne lui répondra pas en se justifiant, mais en lui adressant à son tour des reproches, passant sur ceux qui lui avaient été faits, ce qui a valeur d’aveu implicite.
STRATÉGIE 30 : l’argument d’autorité
« Chacun préfère croire plutôt que juger » dit Sénèque
il consiste à faire appel, plutôt qu’à des arguments rationnels, à des autorités reconnues, qu’on choisira en fonction du niveau d’érudition de l’adversaire. .. . .
Le commun des mortels, en revanche, a un profond respect pour les experts, quel que soit leur domaine. . . . et si on ne trouve pas celle qu’on cherche, on en citera une qui s’en approche, en invoquant ce qu’untel a dit dans un autre sens ou dans un autre contexte.
Les préjugés universels pourront également faire office d’autorités. En effet, la plupart des gens pensent, comme nous l’apprend Aristote, que ce qui paraît juste à beaucoup est forcément vrai
La plupart des hommes ne pensent pas ils suivent leurs chefs sans raisonnent 
« et de fait, il n’y a jamais eu d’opinion trop absurde que les hommes n’aient adoptée, dès lors qu’on a pris le soin de les persuader qu’elle est universellement admise. L’exemple agit sur leur esprit, mais aussi sur leurs actes. Ce sont des moutons qui suivent le bélier de tête où qu’il les mène : il est plus facile pour eux de mourir que de penser. Il est tout à fait singulier que l’universalité d’une opinion ait tant de poids à leurs yeux, puisqu’ils peuvent voir par leur propre exemple à quel point on se range à une opinion sans jugement et à la seule vertu de l’exemple. Mais ça, ils ne le voient pas, car toute activité réflexive leur est inconnue »p22.
« Le peuple a le crâne bourré de sottises et si on devait y mettre un peu d’ordre, on ne serait pas sorti de l’auberge. »
L’universalité d’une opinion n’est pas une preuve
si nous observions le processus d’émergence de ces opinions universelles. On trouverait alors que ce processus est initié par deux ou trois personnes.
Le ralliement sera devenu la règle
Les rares personnes encore capables d’esprit critique n’ont plus voix au chapitre : les seuls qui ont le droit à la parole sont ceux qui sont totalement incapables d’avoir une opinion et un jugement propres, n’étant plus que l’écho de l’opinion d’un autre ; ils en seront pourtant les défenseurs les plus acharnés et les plus intransigeants.
STRATÉGIE 31 : utiliser l’ironie
Lorsqu’on ne trouve rien à répondre aux arguments adverses, on se déclarera, non sans une pointe d’ironie,
incompétent en la matière : « Ce que vous dites là dépasse mon humble entendement : c’est certainement tout à
fait juste ; mais le sens m’échappe, et je me garderai donc bien de tout jugement. » Ce faisant, on suggère à
l’auditoire, qui nous tient en haute estime, que le raisonnement est absurde.
Cette stratégie ne sera utilisée que là où l’on est sûr que sa cote auprès de l’auditoire est résolument supérieure
à celle de l’adversaire

STRATÉGIE 32 : cataloguer les déclarations de l’adversaire en l’assimilant  à un dogme peu apprécié
Il existe un moyen très rapide, lorsqu’on est confronté à une affirmation adverse, de la balayer ou du moins
de la rendre sujette à caution : on la cataloguera en l’assimilant à une doctrine peu appréciée, quand bien même
elle ne s’y rattacherait que par une vague ressemblance. On pourra par exemple la taxer de manichéisme,
d’arianisme, de pélagianisme, d’idéalisme, de spinozisme, de panthéisme, de brownianisme, de naturalisme,
d’athéisme, de rationalisme, de spiritualisme, de mysticisme, etc. Ce faisant, on affirme implicitement.
1. que l’affirmation adverse est vraiment identifiable à cette doctrine, ou du moins pourrait s’en réclamer,
aussi pourra-t-on s’exclamer : « Oh, mais j’ai déjà entendu ça quelque part ! »
2. Que la doctrine en question a déjà été entièrement désavouée, et qu’elle ne contient pas une once de vérité.
STRATÉGIE 33 : vrai en théorie, mais pas en pratique
« Cela est peut-être vrai en théorie, mais pas en pratique. » Par ce sophisme, on admet les fondements du
raisonnement, mais on en refuse les conséquences.
STRATÉGIE 34 : travailler au corps l’adversaire, même lorsqu’on ne cerne pas encore au juste la faille décelée

Si l’adversaire ne répond pas directement à une question ou à un argument, mais pose à son tour une
question, ou donne une réponse détournée, ou une réponse hors sujet, et tente de détourner le débat, c’est un
signe qui ne trompe pas : on a touché, sans le savoir, un point sensible. Sa réaction est une forme de silence. On
appuiera donc sur ce point pour travailler au corps l’adversaire, même lorsqu’on ne cerne pas encore au juste la
faille décelée
.
STRATÉGIE 35 : faire savoir à l’adversaire que ces arguments touchent à ces intérêts ou pourrait s’intituler : « couper l’arbre à la racine »
si on parvient à faire sentir à l’adversaire que son opinion, si elle s’avérait recevable, porterait un préjudice majeur à ses intérêts, il la lâchera aussitôt, comme un métal brûlant dont il se serait imprudemment saisi.
Par exemple, si un ecclésiastique défend un dogme philosophique, on lui fera remarquer qu’il contrevient indirectement à un dogme fondamental de son église, et  il s’arrêtera tout net.
comme le suggère Bacon : « L’intellect n’est pas une lumière qui brûle sans huile, il se nourrit de la volonté et des passions »

STRATÉGIE 36 : déstabiliser l’adversaire en lui opposant une logorrhée absurde
Il consiste à déstabiliser l’adversaire en lui opposant une logorrhée absurde, Et s i l’adversaire a conscience de ses déficiences, s’il est habitué à entendre des choses qu’il ne comprend pas,
et à faire comme s’il les comprenait, alors on pourra faire son petit effet en proférant d’un air pénétré des
inepties érudites ou profondes à l’oreille, tournant la chose comme une preuve indubitable de la véracité de sa
thèse : il perdra peu à peu toute faculté de voir, d’entendre et de penser.

STRATÉGIE 37 : quand l’adversaire choisit la mauvaise preuve
(qui devrait être un des premiers.) S’il s’avère que l’adversaire a raison, mais que fort heureusement il
choisit une preuve inadéquate, il nous sera facile de réfuter cette preuve, tout en présentant la chose comme une
réfutation de sa thèse. Et s’il ne lui vient pas de preuve plus adéquate, à lui ou à ceux qui l’entourent, nous avons gagné
ULTIME STRATÉGIE :se prendre à la personne
Si on constate que l’adversaire nous est supérieur, et qu’on ne pourra pas avoir raison, on s’en prendra à sa
personne
par des attaques grossières et blessantes. L’attaque personnelle consiste à se détourner de l’objet du
débat.
Hobbes, dans son texte Du citoyen, affirme : « Toute volupté de l’esprit, toute bonne humeur provient de ce qu’on a des gens en comparaison desquels on puisse avoir une haute estime de soi-même. »
Mais dès que l’adversaire se lancera dans une attaque personnelle, on se contentera de répondre calmement que cela est hors sujet, avant de recoller au débat qu’on poursuivra pour lui démontrer son tort, sans prêter l’oreille aux vexations
Se débattre avec qui mérite
Il s’ensuit que sur cent personnes, une seule, et encore, mérite qu’on débatte avec elle. Les autres,
on les laissera dire ce qu’elles veulent, car comme l’enseigne le droit romain, extravaguer est un droit des gens.
On songera également à ce que dit Voltaire :
« La paix vaut encore mieux que la vérité », et à ce proverbe arabe : « La paix fait pousser ses fruits à l’arbre du silence. »

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